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NUMÉRO 597 - AUTOMNE 2022

Rénelle Lamote : « Un autre profil de demi-fondeuse »

Vice-championne d’Europe à Munich, Rénelle Lamote a décroché cet été sa troisième médaille d’argent continentale en plein air. Une récompense au parfum bien différent des précédentes, tant la demi-fondeuse du Racing Multi Athlon a changé de vie et de philosophie. Pour Athlétisme Magazine, elle revient sur le travail de longue haleine réalisé avec sa psychologue pour s’émanciper des clichés.

Athlétisme Magazine : Une médaille vous avait-elle déjà procuré autant d’émotions que celle que vous avez décrochée à Munich ?

Rénelle Lamote : Non, jamais. J’étais tellement triste après les championnats du monde, où j’avais été malade, et on ne savait pas si ça allait le faire pour les Europe. J’ai dû m’arrêter pendant dix jours dans la foulée de Eugene. Pour une demi-fondeuse, c’est un gros risque. Et sur le plan psychologique, c’était une catastrophe. Je savais que j’étais dans la meilleure forme de ma vie et je culpabilisais énormément. Pour moi, cet échec était de ma faute. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais malade et que ça n’était pas moi le problème. Il a fallu que je travaille beaucoup sur moi. Cette deuxième place à Munich a donc été un soulagement et aussi une forte émotion. J’ai changé de groupe d’entraînement, j’ai fait beaucoup de choix sportifs ces dernières années. Cette récompense les a validés et m’a donné de la confiance.

Votre arrivée au sein du groupe de Bruno Gajer à Montpellier remonte à fin 2019. Vous ressentiez encore le besoin de confirmer cette décision ?

Je suis restée quand même douze ans à Fontainebleau. Je me suis construite là-bas en tant qu’athlète. Ça a été un mode d’entraînement qui m’a permis d’atteindre le haut niveau très vite. J’ai été finaliste dès mes premiers championnats du monde, à 21 ans (8e à Pékin en 2015). Ça m’a permis de prendre du conscience du travail à réaliser et d’être prête à bosser beaucoup. Mais aujourd’hui, je sais que ce n’est pas quelque chose qui peut marcher sur le long terme pour moi. C’est usant psychologiquement d’être « matrixée » par le sport. Je sens que j’ai fini par reconstruire un autre profil de demi-fondeuse, qui n’est pas forcément celui qu’on attend d’une sportive de haut niveau, et j’arrive tout de même à faire des performances.

Un autre profil de demi-fondeuse, c’est quoi ?

À l’époque où j’étais à Fontainebleau, j’avais vraiment envie de réussir. Mais je dépendais beaucoup de mon entraîneur et de ses choix. C’était un projet que je ne m’étais pas approprié à 100%. Il y avait l’élève et le professeur. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’aller là où je le souhaite. Le travail que j’ai fait au niveau de la préparation mentale m’a complètement affranchie des codes du sport de haut niveau et des stéréotypes liés à l’athlétisme. J’ai l’impression de mener ma carrière à ma sauce, sans dépendre de clichés comme celui de devoir toujours être affûtée. Je n’ai jamais autant profité de ma vie sociale que maintenant. Lors de la première olympiade de ma carrière, je ne sortais presque pas. En dehors des gens que je fréquentais au stade, je ne voyais presque personne. J’étais à fond, dans une bulle. Ça m’a aussi permis de réussir. Mais désormais, j’ai une vie complètement différente. Un exemple symbolique que j’ai raconté à beaucoup d’athlètes : à Munich, j’ai goûté tous les desserts de l’hôtel, ce que je n’aurais jamais fait avant.

Après les Jeux olympiques de Tokyo en 2021, vous avez effectué une longue coupure avec la piste, en partant pendant près de deux mois au Brésil et en Afrique du Sud. Là aussi, ce n’est pas commun pour une athlète de haut niveau…

Ça m’a été super bénéfique. Je vois parfois des athlètes très fatigués reprendre tôt. Je ne sais pas pourquoi il y a cette croyance qui dit qu’il ne faut pas s’arrêter trop parce qu’on perd trop. Je pense que si le corps a besoin de se reposer, il faut l’écouter. J’ai la chance de travailler énormément ma tête. Ma psy Meriem Salmi, qui me suit depuis six ans, m’a dit après Tokyo que le repos mental était essentiel pour ne pas me blesser. J’allais à l’entraînement sans réelle motivation. Je n’avais pas encore retrouvé de sens à mon projet sportif et je subissais les séances. Je n’avais pas d’autre choix que de partir aussi longtemps. Je ne connaissais personne qui avait déjà fait ça en France, à part peut-être Pierre-Ambroise Bosse. Je stressais donc un peu. Mais c’était la bonne chose à faire, j’en ai profité et je l’ai finalement assez bien vécu. Après ce voyage, j’avais vraiment envie de reprendre l’entraînement et j’étais prête à me fixer des objectifs très élevés.

Il y a quelques années, vous culpabilisiez lorsque vous coupiez ?

Mais oui, à fond ! C’était le cas dès que je loupais un entraînement, que je prenais un jour de repos. J’étais tout le temps dans la culpabilité, que ce soit sur ce sujet ou dans mon rapport à la nourriture. C’est un sentiment encore trop ancré dans la pratique du sport. J’ai pu m’en débarrasser grâce à tout le travail que j’ai réalisé avec ma psychologue. Elle m’a un jour expliqué que je suis d’une nature très travailleuse. Donc quand je ne vais pas faire un footing, c’est parce que mon corps envoie un signal à mon cerveau pour lui dire que je suis fatiguée. Le boulot avec ma psy m’a permis de comprendre comment ma tête fonctionnait. Elle est comme mon corps, je l’entraîne énormément. La régularité dont je fais preuve en compétition, je la dois aussi à la sérénité que j’ai trouvée à l’entraînement et au quotidien.

Pour être performante, vous avez besoin d’être épanouie dans votre vie…

C’est totalement ça. On se fait beaucoup une image du sport de haut niveau dans la souffrance et la persévérance. Bien sûr qu’il y a des moments difficiles. Mais je ne suis pas sûr qu’être tout le temps dans la frustration soit quelque chose de bénéfique.

Pensez-vous que tout le monde devrait fonctionner comme vous ?

Chacun a sa manière de faire. Je ne dis pas que la mienne est la meilleure, mais c’est celle qui me correspond le plus. Quand je parle avec d’autres athlètes, j’essaye surtout de leur dire que tant qu’on fait les choses dans la contrainte, ça va à l’encontre de la performance. C’est sûr qu’on pourrait me rétorquer : « tu n’as rien fait au niveau mondial pour l’instant, est-ce que tu es dans le vrai à vouloir profiter des à-côtés ? » Je ne le sais pas, je vous le dirai plus tard.

Pour quelles raisons ces stéréotypes liés au sport de haut niveau, que vous pointez, sont si dominants ?

Je pense que les entraîneurs doivent certainement être attachés à tout ce qui est chrono et performance pure. Mais aujourd’hui, il faut aussi qu’ils soient capables de s’adapter aux besoins des athlètes, à leur vie, à leurs envies. Ils sont peut-être parfois un peu trop rigides dans leur manière d’entraîner. Tout n’est pas purement théorique.

Quel dialogue avez-vous avec votre coach ?

Après les Jeux, il m’a dit : « si tu veux arrêter l’athlé, tu peux. Si c’est trop dur pour toi, que tu n’en peux plus, ce sera ton choix car c’est ton projet sportif ». Ce genre de propos enlèvent de la culpabilité à l’athlète. Beaucoup de sportifs ont tellement de reconnaissance envers leur entraîneur qu’ils courent pour eux-mêmes mais aussi pour lui. Ça m’a fait du bien de penser plus à moi en descendant à Montpellier. On co-construit avec le coach.

Vous avez hésité à mettre un terme à votre carrière après Tokyo ?

Ce qui me pèse le plus dans le sport de niveau, c’est de penser toujours à ça. Si je sors avec des amis boire un verre, je vais toujours avoir mes entraînements dans un coin de la tête. J’envie parfois les gens qui, quand ils rentrent du travail, ne sont pas plongés dedans « H24 ». Être sportif de haut niveau, c’est plus qu’un boulot, c’est un mode de vie. J’imagine souvent ma vie sans l’athlétisme et ça me fait parfois envie. Mais tant que je n’ai pas tout fait pour atteindre mes objectifs, à savoir décrocher une médaille mondiale, je ne peux pas arrêter l’athlé. Je ne suis pas capable d’abandonner, ce n’est pas dans mon tempérament.

Vous pouvez parfois donner l’impression d’être très touchée mentalement et, un mois plus tard, d’être au sommet, à l’image de Eugene et Munich cet été…

Ça me fait rire, parfois. À Eugene, je me suis filmée en train de pleurer. Je me suis dit que je ressortirais la vidéo le jour où j’aurais un succès. Je ne pensais pas que ça viendrait si tôt. C’est dans ma personnalité. Je vis hyper intensément les tristesses comme les bonheurs. Ma réaction aux Europe a dû sembler à certains disproportionnée, mais je suis comme ça.

La santé mentale des sportifs est de plus en plus évoquée publiquement, notamment après les problèmes psychologiques rencontrés par la gymnaste Simone Biles aux Jeux de Tokyo. C’est un sujet dont vous avez envie de vous emparer ?

Le problème est qu’on ne peut pas convaincre les athlètes d’avoir un psy. Moi, j’étais complètement hermétique à ça au début. Je pensais que c’était réservé aux gens faibles ou qui avaient des problèmes, que c’était un truc de « loser ». Puis je me suis rendu compte que c’était un outil pour la performance. Je n’arrête pas de le crier sur tous les toits. Parfois, il y a des personnes qui m’entendent. Mais je vois aussi de temps en temps du jugement dans le regard des gens.

Comment peut-on se préparer mentalement pour les Jeux olympiques de Paris, où les attentes pour les sportifs français seront décuplées ?

C’est quelque chose qui me fait peur. Je crains la foule, et quand on me reconnaît, je me mets encore plus la pression car j’ai envie de bien faire. Les Jeux olympiques sont un cadeau magnifique, mais je sais déjà que ce sera difficile pour moi à gérer et je m’y prépare dès maintenant avec mon coach et ma psychologue. J’encourage d’ailleurs tous les jeunes athlètes qui vont faire les Jeux en 2024 à bosser dès maintenant avec des psys.

Propos recueillis par Florian Gaudin-Winer
Crédit photos : Jean-Marie Hervio et Philippe Millereau / KMSP


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